CGT DES HOPITAUX DU VAL DE LORRAINE

Blog de la CGT des Centre Hospitalier de Pont-à-Mousson & Pompey Lay St Christophe

Le fantôme de Marx

 esquisse de sociologie politique à partir des intuitions marxistes; écrit et relu à Toulouse le mardi 15 05 2018)

 

La « doxa » commune voudrait nous faire croire que les classes sociales se soient évaporées dans l’éther d’une société sans classe et que nous vivrions dans une époque uniquement façonnées par des « individus » réduits à leur seule fonction consumériste et parfois à leur travers narcissiques, en quelque sorte des monades et non des citoyens !
Bien sûr, cette « idéologie » qui se présente comme la seule description et interprétation possible du réel, amplement diffusée par les « Médias » comporte le grand avantage pour les « maîtres du Monde » celui de tenir le plus éloigné les formes nouvelles de lutte des classes et d’assurer leur tranquille domination sur les esprits.
Bien entendu, sur le plan de l’analyse scientifique et historique cette illusion est fausse et a comme principal inconvénient de nous masquer les récentes évolutions du Monde réel.
Comme nous le savons, ce n’est nullement Karl Marx qui aurait inventé la « lutte des classes » mais plutôt le dirigeant girondin, Antoine Barnave, ayant été amené à réfléchir sur les récents événements de la révolution française qu’il venait de vivre avant d’en être victime.
Mais ce sujet pose en fait trois questions :

1° - Qu’en est-il des classes sociales aujourd’hui ?

Nous voyons apparaître sous nos yeux une nouvelle «classe dirigeante transnationale» éloignée, de par sa place dans les rapports de production, de par ses fonctions et de par son mode de vie complètement mondialisée et coupée de tout vrai attachement à ce que pouvaient représenter les patries et plus encore les « terroirs »:

- À ) Cette nouvelle classe à « vocation mondialiste » est composée par les banquiers d'affaire, les hauts fonctionnaires européens, les grands journalistes des Médias dominants presque tous possédés par des requins d’affaires et cette nouvelle couche de négociants qui vit exclusivement des considérables différences de coûts et des marges prélevées dans le domaine de l'import-export.

Cette nouvelle classe n'a plus grand-chose à faire des Nations ni des Peuples et ne s'intéresse aux États que pour leur sous-traiter le maintien de la de l'ordre social, parfois « Regional » exercé par quelques interventions militaires aussi coûteuses que dangereuses et politiquement inopportunes.

- B ) A l’inverse le sujet historique « prolétariat » s’est fragmenté en une multiplicité de métiers dominés dont les infra-salariés sont contraints de vendre leur force de travail pour une rémunération qui ne prend plus systématiquement la forme sociale d’un salaire. Ces tacherons du « nouveau monde » ne ressentant plus obligatoirement une solidarité d’intérêt avec les salariés classiques. Les grandes usines favorisant une solidarité d’intérêts et une « conscience de classe » se sont faites plus rares. Il en résulte que l’initiative politique que jouèrent l’usine Poutilov, lors de la révolution d’octobre, les concentrations ouvriers du triangle Turin, Milan, Gènes lors du « biennio Rosso » ou Boulogne Billancourt sont moins nombreuses dans les pays anciennement industrialisés. Mais cela serait une erreur d’en tirer la conséquence que ce nouveau salariat à la fois industriel et « de service » se serait fondu dans une vaste classe moyenne. Si nombre de ses membres en ont parfois l’ambition, la réalité du système économique les maintient en situation dominée et de plus en plus précaire. C’est au contraire un nouveau « précariat » faiblement représenté syndicalement et moins encore politiquement qui a pris le relais et dont la figure ultime de l’ « uberise » ou du travailleur anglo-saxon presque sans droit et payé à la tâche offre l’exemple. 
Il y a, par conséquent un impératif de lutter politiquement pour reconstruire des « communautés de travail et de destin » comme préalable à la construction de sociétés plus égalitaires.
- l’autre changement fondamental correspond au développement d’une vaste catégorie de retraités vivant de fonds collectifs et ne ressentant plus spontanément une solidarité avec les revendications et organisations de travailleurs en activité. Bien sûr cette classe d’âge rémunérée par des salaire s différés dans le temps que constituent les « retraite » est très hétérogène mais elle pèsera de plus en plus pour défendre la part commune de ses quelques intérêts partagés et se transforme progressivement en catégorie spécifique en participant plus que la jeunesse et les actifs aux scrutins électoraux.
Ce sont ces nouvelles mutations essentielles des sociétés qui restent : « de classe » auxquelles devraient s’attacher les organisations de défense des salariats différenciés et du precariat et qu’à hélas complètement délaissés liés « social démocraties »

C ) reste à analyser la question des « classes moyennes » dont les choix d’alliance s’avèrent toujours décisif pour remporter l’hégémonie dans les affrontements de classe revêtant un caractère décisif.
Mais cette question n’est pas aidée et à bien évoluée depuis les années trente ou la question de l’alliance des partis se réclamant du prolétariat avec celle-ci s’est avéré décisif lors de la mise en place des stratégies de « front uni » antifasciste.
Loin de se limiter aux catégories de petits et moyens commerçants et du personnel des employés d’Etat, les « classes moyennes » paraissent d’être dilatées durant la période d’après guerre ou ont été mis en place des compromis sociaux post-keynésien.
Les catégories des cadres d’entreprises, ingénieurs et techniciens est venu donner un rôle décisif à ces nouvelles « classes moyennes » qui ont aussi formé l’ossature de nombre de partis politiques.
Faisons cependant trois observations :

1 ) si ces nouvelles classes moyennes ont pu croire qu’elles avaient acquis une autonomie et parfois même une hégémonie culturelle. Cette perception faussée n’a jamais correspondu à la réalité puisqu’elles sont toujours restées dans le champ d’attraction ou de domination des classes supérieures dominantes.

2 ) Une coupure est venu rompre l’apparente unité de ces « classes moyennes »; celle résultant de la séparation du champ public/privé.
En effet, les classes moyennes du public dont l’éthos et la légitimation reste le « service public » entretiennent un rapport plus distant et moins dominé aux logiques financières alors que nombre des « cadres » du secteur fut privé dont plus influencés par l’idéologie « managériales » mais aussi plus vulnérables aux retournements de la conjoncture économique.

3 ) depuis de tournant de la crise des années 2006/2007, le sort d’une grande partie de ces classes moyennes s’est dégradé et par suite leur liaison politique avec les partis et les représentations des catégories dominantes s’est progressivement altéré.
C’est de cette manière qu’il convient d’interpréter la montée des « populismes » qui a donné à ces classes moyennes des thématiques leur permettant de défendre leurs intérêts propres contre les évolutions imposées au service des stricts intérêts de la « classe dirigeante transnationale » et de ses représentants parmi lesquels les messages relayés par les « grands médias de masse. »

3 ° - La lutte des classes. Reste-t-elle le moteur exclusif de l’histoire ?

L’œuvre de Karl Marx, maintes fois remaniée et jamais achevée surtout dans sa matrice : « le capital » est bien sur fonction des caractères de la période où elle a été écrite.
Le suffrage universel n’existait alors qu’à l’état de prototype en France à partir de 1848 et s’est étendu par élargissements limités et successifs au Royaume uni. Une société industrielle naissait dans des pays encore essentiellement paysan ou l’aristocratie détenait encore un rôle prééminent.
Aussi la conception et le caractère d’une lutte des classes comme facteur décisif et presqu’exclusif de l’action historique est très marquée par les conditions difficiles de lutte d’un prolétariat naissant, alors privé des institutions sociales d’intégration, qui résultèrent ultérieurement des luttes syndicales et politiques et de l’intérêt bien compris des bourgeoisies modernisatrices.
Le caractère d’une « lutte des classes » perçue comme ayant un caractère implacable et comme moteur dominant de l’histoire attribué par Karl Marx est plus le fait des conditions des luttes mêmes de son époque que d’une vérité scientifique intangible qui serait valable historiquement pour toutes les périodes de l’histoire à venir.
Comme bien d’autres phénomènes sociaux la « lutte des classes » est à « historiciser » et à replacer dans le cadre d’autres passions humaines fortes, telles les « nationalismes », les « conflits religieux », et la difficile conquête de leur autonomie par les femmes sortant des sociétés patriarcales.
Au-delà de l’expérience des révoltions de février et d’octobre 1917, ou la lutte entre les classe fut portée à son paroxysme par le caractère arriéré du pays encore sous emprise féodale et la cruauté de la guerre intra-impérialiste puis de la guerre civile qui firent le lit du stalinisme, il est nécessaire de reconsidérer les intuitions de Marx. La lutte de classe est une des composantes de l’évolution politique de l’humanité. Mais elle ne revêt pas ce caractère absolu et « moniste » que le philosophe Allemand lui aurait attribué ou plutôt que lui ont attribués ses épigones qui n’avaient pas sa science et sa hauteur de vue.
En outre et heureusement pour l’humanité il existe dans l’histoire humaine une tendance de long cours à civiliser et à pacifier partiellement les affrontements en substituant par des affrontements symboliques et médiatiques a la violence brute.
Certes, cette tendance à l’apaisement peut connaître de graves rechutes ainsi que nous l’attestent les guerres en Afghanistan, en Syrie, en Irak et au Yémen où les attentats qui frappent nombre de pays d’’Europe sans que le caractère « de classe » de ces conflits n’ait jamais joué le rôle premier et exclusif.

Paul Arrighij

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